Dans le cadre du Festival TNB 2023

Comme souvent avec Gisèle Vienne, c’est une scène sombre, en adéquation avec un sujet qui l’est tout autant, qui attend le public au Triangle, lieu de spectacle et de vie au Blosne, à Rennes.

A la fin de la nuit, après une fête, une sœur et son frère, adultes, se retrouvent.
Le lien fusionnel entre les deux enfants, dans un contexte familial violent, s’est trouvé brutalement déchiré par un drame, 20 ans auparavant.

Source : Site Gisèle Vienne

Dans une voiture, qui pourrait tout aussi bien être une épave, sur ce qui semble être, par le jeu des ombres et lumières, un chemin dans les bois, deux personnes rient, bavardent, joyeusement. Mais déjà les rires d’Adèle Haenel, qui incarne l’un des personnages principaux, Clara, sonnent étrangement, mécaniquement ; son frère, Félix, interprété par Theo Livesey, allume une cigarette, ambiance fin de soirée. Déjà, très vite, des phrases suspendues semblent sorties d’ailleurs, ou plutôt d’un autre temps, Félix répondant à des mots qui n’existent pas, pas encore.

Très vite, on comprend que ce frère et cette sœur partage un secret, celui de l’inceste commis par leur oncle Jackie sur eux, celui d’un traumatisme… commun ? Comment faire commun avec ce qui ne peut être qu’une effraction terriblement individuelle ? Comment partager ce qui, par définition, isole le Sujet qui se retrouve face à cette béance et cette exigence de secret, cet effacement des valeurs ?

Photo d'Extra Life - Mise en scène : Gisèle Vienne © Estelle Hanania
Photo d’Extra Life – Mise en scène : Gisèle Vienne © Estelle Hanania

Les chemins sont d’office séparés, c’est là ce que Gisèle Vienne tente de signifier au plateau. Une présence, telle une « inquiétante étrangeté », un troisième personnage apparait, qui pourrait être le double de Clara, mais pas seulement. Des mouvements dédoublés, comme en miroir nous font sentir la faille, la « division subjective » qui a séparé ces enfants d’eux-même face à l’agression pédophile. Nous comprenons alors que ce n’est pas la scène traumatique qui se rejoue indéfiniment, mais une autre scène, celle de leur retrouvaille, qui réactive les ignobles souvenirs qui abiment ces retrouvailles.

Ils sont trois, plus une marionnette – enfant au visage tordu de souffrance – au plateau pour jouer leurs deux rôles. La lumière et la fumée, maniées comme rarement, jouant un étrange ballet, leurs permettent de passer d’état de conscience, d’échange à celui de « spectateur » de leur propre vie en train de se dérouler. La metteuse en scène donne des indices aux spectateurices ; ils saisissent cet étrange manège de « dissociation », évoquée par la radio qui passe un documentaire bancal.

Photo d’Extra Life – Mise en scène : Gisèle Vienne © Estelle Hanania

Gisèle Vienne marque la fragmentation des victimes du fait de l’expérience traumatisant par une mise en espace, une mise en lumière numérisée qui fait apparaître d’autres volumes, d’autres séparations, aussi. Les étendues inconscientes et solitaires sont tour à tour occupées par le frère et la sœur, qui nous apparaissent isolé·es ou dédoublé·es, selon le personnage et la lutte identitaire qu’iel mène. Un « jeu » de laser vert découpe littéralement l’espace scénique, les isolant plus encore, mettant en jeu le spectateur selon qu’il appartient ou pas à ces espaces labiles généré par la lumière ; d’autres effets lumineux de laser rouge, sécuritaires, rendront ce même espace hostile – ou rassurant, à chacun de choisir ! La fumée marque ces espaces et se fait murs, vagues douces ou tsunami, versant sur les souvenirs et ce qui se rejoue d’eux un brouillard, une opacité peut-être salutaire !

Il existe une expérience dite « des fentes de Young« , qui démontre qu’un électron peut suivre différentes trajectoires dans un même laps de temps, au contraire des objets qui nous entourent. C’est ce que semblent vivre ce frère et cette sœur, à la fois co-présent et spectateur de ce morceau de vie, comme si une plaisanterie quantique leur offrait l’opportunité de se voir vivre au-delà du trauma, comme si une mauvaise plaisanterie quantique avait éjecté leur propre subjectivité d’eux-même, tel le trauma, pour mieux pouvoir s’observer soi-même, et peut-être, enfin pouvoir le dépasser.

Gwendoline Landais

Générique

Conception, chorégraphie, mise en scène et scénographie
GISÈLE VIENNE
Textes
ADÈLE HAENEL
THEO LIVESEY
KATIA PETROWICK
Musique originale
CATERINA BARBIERI
Son
ADRIEN MICHEL
Lumières
YVES GODIN
Costumes
GISÈLE VIENNE
CAMILLE QUEVAL
Production
ALMA OFFICE (ANNE-LISE GOBIN, CAMILLE QUEVAL, ANDREA KERR)
Administration
CLOÉ HAAS
GIOVANNA RUA

Avec
ADÈLE HAENEL
THEO LIVESEY
KATIA PETROWICK

https://www.t-n-b.fr/programmation/spectacles/extra-life